mercredi 8 mars 2006

Chronique d’une mort annoncée


La rumeur est lancée : la banque réseau disparaîtra bientôt et chaque arrondissement établira alors sa propre banque.

Cette rumeur devrait me réjouir. Je me souviens de tous ces jours où j’ai espéré un remplacement en vain et découvert le lendemain qu’une biblio avait espéré un remplaçant tout aussi vainement. C’était enrageant de savoir que ces mois de vaches maigres que je traversais n’étaient pas une fatalité mais le résultat du délabrement de la banque réseau.

Je me souviens aussi de ces matinées où l’on m’a appelé trois où quatre fois pour une même journée et de ces mois où j’ai dû télécopier quatre ou cinq fois mes disponibilités avant qu’on ne daigne en tenir compte.

Et pourtant... je ne me réjouis pas. Bien sûr, la banque réseau ne fonctionne pas. Mais je crois qu’il faut non pas souhaiter sa fin mais exiger qu’elle soit fonctionnelle. Son abolition aurait des conséquences fâcheuses pour nous tous. Et de plus, je crois que son incurie n’a rien de fortuit.

D’abord, l’abolition de la banque réseau mènerait à la création de neuf listes d’anciennetés, comme c’est déjà le cas dans la nomination des permanents. Notre nom n’apparaîtrait que sur la liste de l’arrondissement où nous travaillerons alors et nous ne pourrions plus obtenir de blocs ou de remplacements hors de celui-ci. Ceux qui parcourent une grande distance pour aller au travail devraient renoncer à l’espoir d’avoir un jour un bloc dans une bibliothèque près de chez eux.

Les auxiliaires confinés dans des arrondissements comportant moins de bibliothèques que les autres seraient désavantagés. Ils auraient moins de possibilités que les autres même s’ils ont plus d’ancienneté.

Même les petits blocs non-comblés ne seraient pas nécessairement offerts aux auxiliaires des autres arrondissements puisque chacun d’entre eux a désormais le pouvoir d’embaucher pour pourvoir à ses besoins.

Ensuite, notre situation s’aggraverait encore. En 2003, les arrondissements se sont vus accorder le pouvoir de négocier eux-mêmes sur 17 points avec le SFMM-429. Parmi ces points, on trouve : le comblement des postes, les mouvements de main-d’œuvre, le travail supplémentaire, les mesures disciplinaires, les congés sans traitement, la formation, etc. Puisque chacun d’entre eux peut négocier tout cela comme il l’entend, nos conditions pourraient désormais varier grandement selon notre lieu de travail.

Pour l’instant, la banque réseau fait obstacle à tout cela. Tant que nous pouvons passer facilement d’un arrondissement à l’autre, ils ne pourront se permettre de grandes disparités. Un même employé ne peut évidemment pas changer de conditions de travail au jour le jour selon ses déplacements. Ce serait impensable.

Voilà pourquoi je crois que la ruine de la banque réseau est voulue. On espère nous amener ainsi à accepter sa disparition. Quand ce sera fait, les arrondissements (devrais-je dire les éclatements?) profiteront de leur nouvelle autonomie pour négocier ce qu’ils veulent et nous nous retrouverons avec des conditions inégales.

Pour assurer l’uniformité de nos conditions de travail, nous devons donc lutter pour la survie da la banque réseau. Elle est un obstacle à la « babélisation » de nos emplois. Il faut refuser qu’elle soit abolie et exiger qu’elle soit imputable. Elle devrait répondre de son travail devant nous tous. Le syndicat devrait se battre pour son maintien et le renforcement de son statut. Ensuite, il faudra la surveiller attentivement. Des banques réseau qui fonctionnent, ça existe dans plusieurs lieux de travail.

Nous devons suivre de près tout ce qui touche l’entente E.V. 96-94 qui dispose des étapes d’assignation des auxiliaires. Il faut, pour cela sensibilisez nos collègues à cet enjeu, en parler à nos délégués et à nos directeurs syndicaux.

Une lettre d'entente?

S’il vous est arrivé de poser des questions à votre déléguéE syndicale, combien de fois vous a-t-on répondu : «Ah ça... c’est régi par la lettre d’entente XYZ!»? Ces fameuses lettres d’entente, nous n’en entendons pratiquement jamais parler, sauf à l’occasion d’un problème particulier. Qu’est-ce qu’une lettre d’entente? Où cela se situe-t-il dans les relations patronales – syndicales? Comment fait-on pour les changer? etc.


Le texte qui suit tente de répondre à ces questions. Pour ce faire, il est nécessaire, dans un premier temps, de situer les lettres d’entente dans la hiérarchie légale, par rapport aux lois et à la convention collective, et, dans un deuxième temps, de comprendre le but de ces lettres d’entente, leur impact et leur place dans notre vie syndicale.


État arbitre ou État gérant?

Nous vivons dans un type de société où la fonction de l’État, il n’y a pas si longtemps encore, était perçue comme un temporisateur social, un genre d’arbitre entre les demandes du monde syndical et populaire (pour une vie meilleure) et les exigences du monde patronal (pour un profit maximal). Même s’il avait un énorme préjugé favorable pour le monde patronal, pour ne pas dire qu’il est son gérant, l’État devait composer avec le monde syndical et populaire afin d’acheter la «paix sociale» si chère au monde patronal. Au Québec, le fait d’avoir des organisations syndicales et populaires fortes, mobilisées et revendicatrices a obligé l’État et le patronat à consentir certains gains à la population. Ainsi, à travers le temps, nous avons obtenu des lois nous assurant d’une certaine protection : le Code du travail, la Loi des normes minimales du travail, l’assurance-santé universelle, la Loi sur la santé et la sécurité au travail, l’aide sociale, l’assurance-chômage, l’équité salariale, etc. Même si, sous certains aspects, cela peut ressembler à un début de redistribution de la richesse, cela n’a toutefois pas empêché le patronat d’engranger des profits de plus en plus faramineux : on n’a qu’à regarder les profits des banques et des pétrolières pour s’en rendre compte.


Convention collective et paix sociale


Donc, il y des lois. Au Québec, des travailleuses et travailleurs regroupés dans ce qu’on appelle un syndicat ont le droit de négocier avec leur employeur de meilleures conditions de travail que ce que prévoient les lois : ce contrat, de durée limitée, s’appelle une convention collective. En théorie, une convention collective doit couvrir tous les aspects de la vie à l’intérieur de l’unité de travail : les conditions de travail et les conditions salariales. Les négociations d’une nouvelle convention collective donnent droit aux parties d’exercer des moyens de pression afin d’amener l’autre partie à lui donner ce qu’il veut : l’employeur, qui ne donne jamais rien sans y être obligé, peut aller jusqu’au lock-out et le syndicat jusqu’à la grève. Ces moyens de pression sont balisés par des lois (les services essentiels, les avis de grève, etc.).


Une fois la convention collective signée, les parties ont les «mains liées» par ce contrat, qui devient en quelque sorte la loi des parties, et ne peuvent plus exercer quelque moyen de pression que ce soit jusqu’à l’échéance du contrat. C’est ce qu’on appelle la «paix sociale».

Les «lettres d’entente»


Évidemment, même avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de tout prévoir, dans une convention collective. Il peut arriver des situations tout à fait nouvelles ou imprévues, en cours de contrat. Le syndicat et l’employeur tentent de régler la situation temporairement en attendant les prochaines négociations de la convention collective. Lorsqu’ils parviennent à s’entendre, ils signent ce qu’on appelle une «entente» ou, dans notre jargon, une «lettre d’entente». D’un point de vue syndical, ces ententes n’ont pas pour but de changer la convention collective, qui est habituellement du ressort de l’assemblée générale des membres du syndicat : elles sont là pour régler temporairement un cas imprévu.


Ce qu’il faut savoir, sur ces fameuses «lettres d’entente», c’est que :

· d’une manière générale, puisqu’il y a une convention collective en vigueur, les syndiquéEs ne peuvent exercer aucun moyen de pression : ce serait illégal. Par conséquent, le seul pouvoir qu’a le syndicat lors d’une négociation d’une «lettre d’entente», c’est celui de signer ou de ne pas signer : il y a entente ou il n’y a pas entente;

· plus précisément, à l’intérieur de notre syndicat, l’expérience des années antérieures nous indique que les membres n’ont pas un mot à dire sur les «lettres d’entente», à moins, bien sûr, qu’ils n’exercent de fortes pressions sur les hautes instances syndicales. Contrairement à de nombreux autres syndicats, chez nous, une «lettre d’entente» se négocie et se signe en vase clos. Les membres ne sont au courant de l’existence d’une lettre d’entente qu’une fois qu’elle est signée et en vigueur. Et encore...


En 2004, dans un texte, sur ce sujet, distribué aux déléguéEs syndicaux des bibliothèques de la Ville de Montréal, j’écrivais ceci :


«Le principe même de l’existence d’une lettre d’entente (apparition soudaine d’un cas imprévu) semblerait dénoter l’absurdité de leur survie lors de la signature d’une nouvelle convention. En effet, ces cas «imprévus» sont maintenant «prévisibles et connus». Pourquoi alors ne pas les avoir intégrées dans la convention collective ou ses annexes? Cette question est d’autant plus pertinente lorsque l’on soulève la question du rapport de force : le syndicat a les pieds et les mains liés lors de «négociations» de lettres d’entente. En effet, ayant signé la convention collective, le syndicat ne peut légalement exercer aucun moyen de pression à l’égard de l’employeur.»


Des centaines de «lettres d’entente»


Selon les dires de nos hautes instances syndicales, il existerait quelques centaines de «lettres d’entente» ayant pour but de clarifier des situations non prévues par la convention collective : les chiffres évoqués situeraient le nombre de lettres d’entente entre 800 et 2 000. Le plus invraisemblable, c’est que ces ententes ne sont pas classées de sorte que, sans la mémoire de quelques rares individus, il serait impossible de savoir si telle situation fait déjà l’objet d’une entente. Nos conditions de travail sont, dans de nombreux cas, régies par des ententes que nous ne connaissons pas. Par exemple, en ce qui concerne les bibliothèques, un membre influent de nos hautes instances syndicales a déjà déclaré qu’il pensait qu’une entente entre la Ville et le syndicat avait déjà été conclue sur les horaires de travail : selon cette personne, l’entente prévoirait que les bibliothèques sont fermées le dimanche. Si cela s’avérait exact, les retombées pourraient être très importantes. Confrontés à des questions pointues – peut-on avoir le texte? a-t-elle été abrogée ou est-elle toujours en vigueur mais oubliée? y a-t-il d’autres ententes de ce type? – ce membre influent n’a pu donner de réponses précises.


Il n’y a rien de plus permanent que le temporaire


En conclusion, une «lettre d’entente» est un contrat temporaire visant à solutionner un problème surgissant de façon imprévue, en attendant les prochaines négociations de convention collective. Ça, c’est la théorie. Dans la pratique, on pourrait se poser la question suivante : à quoi sert-il que les membres, réunis en Assemblée générale, adopte une convention collective, si cette dernière peut être changée en profondeur, en cours de route, par la signature de lettres d’entente dont les membres ne sont au courant qu’une fois qu’elles sont en vigueur?