vendredi 9 juin 2006

La convention et nous


Lors de la signature de la dernière Convention collective, on a enfin accordé aux auxiliaires certains droits qui n’appartenaient qu’aux permanents. Mais, encore aujourd’hui, trop de nos conditions de travail ne relèvent que de la Loi des normes du travail. Le temps supplémentaire en est un exemple éloquent.

Alors que, parfois, il nous faut voyager plus de 2 heures, aller-retour, pour travailler, le minimum payé n’est que 3 heures. Pourquoi pas 4 heures, comme cela se fait ailleurs? Lorsque pour des raisons de santé-sécurité, une bibliothèque doit fermer ses portes, est-il normal que nous ne soyons payé-es que pour le temps de présence et non pour le temps que l’on nous a requis? Le mauvais état des lieux ne relève en aucun cas de notre responsabilité.

Regardons nos horaires de travail et demandons-nous pourquoi nous n’avons pas, nous aussi, droit à 2 jours de congé consécutifs. Et les vacances qui sont plafonnées à 3 semaines que cela fasse 5 ans, 15 ans ou 25 ans que l’on travaille pour la Ville. Et ces vacances qu’on nous paie en argent plutôt qu’en temps.

Il faut sortir la Loi des normes du travail de la Convention pour y inscrire nos droits. Cette mesure sera, de plus, écologique puisqu’elle réduira un grand nombre de pages inutiles. On n’a pas besoin de conventionner une loi qui existe déjà.

Temps supplémentaire payé à CDN/NDG


Selon la Loi des normes minimales du travail, une semaine de travail est de 40 heures. Au-delà de ce 40 heures, la travailleuse ou le travailleur doit être rémunéré à temps et demi.

La Loi est claire sur la méthode de calcul : les heures payées en «congés fériés» sont additionnées aux heures effectivement travaillées. Les heures payées en «congés conventionnés» sont exclues du calcul.

C’est ce qu’ont reconnu les autorités de l’arrondissement CDN/NDG. En effet, plusieurs cas ont été portés à leur attention. Après discussion sur un cas particulier, ils sont arrivés au calcul suivant, pour la semaine se terminant le 30 décembre 2005 :

A - Temps effectivement travaillé (27, 28 et 29 décembre) : 21.5 heures

B - Congés fériés (26, 27 et 30 décembre) : 21.72 heures

* Congés conventionnés (les 28 et 29 décembre, non-calculés) : 14.28 heures

A + B = 43.22 heures donc 3.22 heures de temps supplémentaire à temps et demi. Ce travailleur (le cas discuté) a vu son salaire réajusté sur sa paie du 27 avril 2006. Les autres cas soumis devraient être calculés et compensés prochainement.

De nouveaux cas seront soumis pour la période de Pâques : quelques collègues ont cumulé plus de 40 heures de travail (travail + congés fériés) sans être payés pour leur temps supplémentaire.

Il est incompréhensible que des déléguéEs syndicaux doivent enclencher des procédures de griefs, cas par cas, pour que les membres se fassent payer du temps supplémentaire. C’est un droit reconnu! Le paiement devrait être automatique!

Il est incompréhensible que les autorités de l’arrondissement Ahuntsic / Cartierville aient refusé de payer nos collègues pour leur temps supplémentaire de la période des Fêtes 2005. Le tout est présentement soumis à la procédure de grief.

Il est tout aussi incompréhensible, puisque les permanents ont une semaine de travail de 35 heures, que les auxiliaires en aient une de 40 heures. Cela ressemble étrangement à une «clause orphelin» qu’il conviendrait de changer lors de la prochaine négociation de convention collective.

Occupons-nous de nos affaires : cet argent nous l’avons gagné et il nous revient de droit!

L'État des choses

À l’ombre du temple du savoir

La Grande bibliothèque vit un incroyable succès. Elle attire chaque jour de 10 000 à 12 000 visiteurs. À l’est du noyau Berri, le portrait est beaucoup plus sombre. Les bibliothèques de quartiers de Montréal traînent la patte côté quantité de volumes, espace, services, nombre d'employés.

Par Marie-Ève Maheu

Au coin des rues Pie IX et Ontario Est, l’ancien hôtel de Ville du quartier Maisonneuve abrite la bibliothèque du quartier, fermée le lundi, ouverte qu’en après-midi et deux fois par semaine en soirée. La moitié du temps, il n’y a pas de bibliothécaire pour aider les usagers dans leur recherche. Ce jeudi après-midi d’avril, il n’y a qu’une douzaine de lecteurs qui parcourt les rayons.

«Ici, et c’est vrai pour toutes les bibliothèques de l’ancienne Ville de Montréal, il faudrait tripler le personnel pour répondre aux normes minimales de qualité, dit le bibliothécaire responsable à Maisonneuve, François Séguin. Il est aussi désespéré du manque d’espace. «On devrait avoir entre 70 000 et 75 000 livres pour bien desservir la population du quartier, mais on peut en rentrer au maximum 50 000 dans l’édifice. C’est impossible d’avoir une collection qui réponde aux normes.»

La bibliothèque Maisonneuve reflète l’état lamentable de tout le réseau. La ville en a dressé un portrait peu reluisant dans son Diagnostic des bibliothèques municipales de l’île de Montréal, publié en 2005. On y constate, entre autres, un manque flagrant de bibliothécaires, un taux de renouvellement des collections inférieur à celui de toutes les autres grandes villes canadiennes, un retard à peu près généralisé dans l’offre de documents audiovisuels et numériques et des heures d’ouverture insuffisantes.

Pour se consoler, il faudra éviter de se comparer. Sur la scène canadienne, Montréal termine bonne dernière pour ce qui est des collections et du nombre d'employés spécialisés. Le passé catholique du Québec et l’anti-intellectualisme du clergé ont laissé des traces qui prennent du temps à s’effacer.

Inégalité du réseau

La qualité du service et des ressources diverge d’un arrondissement à l’autre. Le professeur en bibliothéconomie à l’Université de Montréal, Réjean Savard, se désole des disparités qui existent entre les différentes bibliothèques de quartier. Celles de l’est de l’île, dans les arrondissements les plus défavorisés, sont les moins bien dotées à tous les niveaux, alors que les meilleures sont dans les quartiers anglophones, dit-il.

Les Montréalais ont accès gratuitement aux ressources des bibliothèques du réseau. Mais avec les défusions, celles qui étaient les mieux équipées, à Westmount, Côte Saint-Luc ou Pointe-Claire, n’en font plus partie. «La bibliothèque de Montréal-Est, une des seules qui avaient une documentation audio-visuelle importante, s’est défusionnée. Le réseau est devenue encore plus pauvre dans ce domaine», dit la conseillère en ressource documentaire au réseau des bibliothèques de Montréal, Gina Pinet. Si les Montréalais veulent utiliser les ressources des bibliothèques des villes défusionnées, ils devront débourser dès l’automne des frais qui varient entre 25$ et 175$ par année, dépendamment des arrondissements.

Réseau à deux vitesses

Depuis les fusions municipales de 2002, les 55 bibliothèques de l’île de Montréal relèvent des conseils d’arrondissements. Cela signifie que ce sont les élus municipaux qui décident des sommes à verser aux bibliothèques.

Interrogés sur le sujet, les bibliothécaires de la ville ont refusé de commenter ce nouveau mode de gestion, à l’exception d’une seule qui a voulu garder l’anonymat. «Ça risque de créer un réseau à plusieurs vitesses. Ç’a déjà commencé à se concrétiser», s’inquiète-t-elle. «Le développement des bibliothèques dans chacun des arrondissements dépend de la volonté politique des décideurs de bien doter leur bibliothèque ou pas. Avant, chaque citoyen était égal, alors qu’aujourd’hui, si tu as le malheur d’être dans un arrondissement qui se fout des bibliothèques, tu vas avoir un service de moins bonne qualité.»

Cette inquiétude semble s’être concrétisée l’an dernier avec la décision de l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, un des quartiers les plus défavorisés de la ville, d’abolir deux postes permanents de bibliothécaires. C’est une aberration, selon Réjean Savard, alors que le Diagnostic de la ville décrie l’insuffisance de personnels qualifiés. Mais bonne nouvelle, l’arrondissement a annoncé début avril qu’elle maintenait les postes. «C’était une vue de l’esprit qu’on avait coupé, on avait organisé autrement. Mais le démontrer, c’était l’enfer», dit le chef de division pour la culture de l’arrondissement, Richard Paulhus.

Le réseau des bibliothèques publiques de Montréal est impuissant devant la nouvelle structure municipale. «Tout ce qu’on peut faire, c’est donner des conseils aux élus municipaux, les accompagner. On n’a aucun droit de regard sur la gestion», dit Gina Pinet, qui craint aussi que les disparités entre les bibliothèques ne s’accentuent.

Richard Paulhus ne s’inquiète pas.«Il y a déjà un système à deux vitesses. Quand on regarde les anciens et les nouveaux arrondissements de Montréal [qui sont fusionnés], il y a toute une différence entre les deux. Ce serait difficile de détériorer les choses. Elles le sont déjà assez. Mais le pouvoir de le faire est là», concède-t-il.

«La BNQ nous rentre dedans»

Le réseau des bibliothèques publiques n’est pas très fréquenté. En termes d’abonnements, Montréal arrive au dernier rang de l’ensemble des villes canadiennes de sa dimension. Avec l’arrivée de la Bibliothèque nationale, les bibliothèques de quartier ont encore baissé en popularité.

Les chiffres du réseau des bibliothèques publiques de Montréal révèlent une diminution du taux de prêts de 3 % dans la dernière année. À la bibliothèque Maisonneuve, il a chuté du quart, selon le bibliothécaire François Séguin. «La BN nous rentre dedans, parce qu’elle offre plus. Les gens fréquentent moins les bibliothèques municipales parce qu’on ne répond pas à leurs besoins. Le jour où l’on va avoir des heures d’ouverture plus convenables, davantage d’espaces, des meilleures collections et de la documentation audio-visuelle, les gens vont revenir.»

Plus au nord, à quelques minutes du métro Jarry, la bibliothèque Le Prévost note pour sa part une diminution de 10 % de son taux de prêt. «Je comprends l’engouement des gens pour la Grande bibliothèque. C’est beau, c’est grand, c’est neuf. Ici, c’est petit, c’est sombre, c’est vieux», dit la bibliothécaire, Danielle Keable.

La BN rayonne

La Grande bibliothèque a créé une nouvelle effervescence autour des livres et de la lecture, croit François Séguin. «On réalise que ça n’a pas de bon sens, il faut offrir des DVD, il faut améliorer nos heures d’ouverture et nos collections.» Selon lui, l’engouement pour la BN est la preuve que les gens veulent des bibliothèques.

L’ouverture d’un temple du savoir en plein cœur du centre-ville devait redynamiser le réseau des bibliothèques publiques, explique Réjean Savard, qui a participé à l’élaboration du concept. «Mais ça tarde à venir. La BN ne tient pas toutes ses promesses. C’est important qu’elle serve de réservoir pour les bibliothèques de quartier et qu’elle offre le prêt inter-bibliothèque.»

Avec l’inauguration de la Grande bibliothèque, la ville avait promis de relancer ses bibliothèques municipales. Elle a élaboré un plan de redressement du réseau étalé sur dix ans, qui nécessite 200 millions de dollars. Près d’un an après son dépôt, la ville vient de débloquer 1,9 million de dollars pour augmenter les heures d’ouverture à 47 heures par semaine pour toutes les bibliothèques du réseau. «On est encore loin de la norme minimale de 62 heures, mais c’est une amélioration», dit Gina Pinet.

Aucun autre engagement n’a été pris par la Ville, qui espère obtenir de l’argent de Québec pour arriver à ses fins. La ministre de la Culture, Line Beauchamp, prévoit bientôt faire une tournée de consultations sur les bibliothèques à travers le Québec. Réjean Savard est déçu. «Ce n’est pas une mauvaise, mais j’attendais une prise de décision. Ça n’avance pas.»

Le Colvert rides again


Suite à l’accueil enthousiaste, pour ne pas dire délirant, réservé au premier numéro du Colvert, nous avons décidé de récidiver.

Pour répondre à une question souvent posée, ce bulletin d’information est conçu de façon bénévole par des aides-bibliotécaires et se finance essentiellement de nos poches.

Vous trouverez dans ce nouvel arrivage, des extraits d’un article de Marie-Ève Maheu, journaliste à l’émission Kung Fu cérébral, diffusée à CISM FM. L’intégralité de ce texte pourra être lue sur notre site Web. De plus, nous incluons, dans cet envoi, un CD qui contient le reportage radiophonique de Marie-Ève diffusé le 21 avril 2006.

Comme nous sommes à la veille ou déjà, selon le cas, en pleine consultation sur la prochaine convention collective, nous vous soulignons quelques sujets qui pourraient être débattus afin d’améliorer nos conditions de travail. Autre sujet d’actualité. le temps supplémentaire. Depuis décembre dernier, des procédures de grief ont été entreprises dans certains arrondissements en vue de faire payer le temps supplémentaires de la période des Fêtes. Certains l’obtiennent, d’autres pas.

Enfin, une suggestion de lecture (ci-contre) pour comprendre l’iniquité salariale; iniquité dont nous reparlerons prochainement, nous en sommes convaincus.

Nous vous remercions pour vos commentaires, attendons vos articles . N’hésitez pas à visiter votre site Internet.

mercredi 8 mars 2006

Chronique d’une mort annoncée


La rumeur est lancée : la banque réseau disparaîtra bientôt et chaque arrondissement établira alors sa propre banque.

Cette rumeur devrait me réjouir. Je me souviens de tous ces jours où j’ai espéré un remplacement en vain et découvert le lendemain qu’une biblio avait espéré un remplaçant tout aussi vainement. C’était enrageant de savoir que ces mois de vaches maigres que je traversais n’étaient pas une fatalité mais le résultat du délabrement de la banque réseau.

Je me souviens aussi de ces matinées où l’on m’a appelé trois où quatre fois pour une même journée et de ces mois où j’ai dû télécopier quatre ou cinq fois mes disponibilités avant qu’on ne daigne en tenir compte.

Et pourtant... je ne me réjouis pas. Bien sûr, la banque réseau ne fonctionne pas. Mais je crois qu’il faut non pas souhaiter sa fin mais exiger qu’elle soit fonctionnelle. Son abolition aurait des conséquences fâcheuses pour nous tous. Et de plus, je crois que son incurie n’a rien de fortuit.

D’abord, l’abolition de la banque réseau mènerait à la création de neuf listes d’anciennetés, comme c’est déjà le cas dans la nomination des permanents. Notre nom n’apparaîtrait que sur la liste de l’arrondissement où nous travaillerons alors et nous ne pourrions plus obtenir de blocs ou de remplacements hors de celui-ci. Ceux qui parcourent une grande distance pour aller au travail devraient renoncer à l’espoir d’avoir un jour un bloc dans une bibliothèque près de chez eux.

Les auxiliaires confinés dans des arrondissements comportant moins de bibliothèques que les autres seraient désavantagés. Ils auraient moins de possibilités que les autres même s’ils ont plus d’ancienneté.

Même les petits blocs non-comblés ne seraient pas nécessairement offerts aux auxiliaires des autres arrondissements puisque chacun d’entre eux a désormais le pouvoir d’embaucher pour pourvoir à ses besoins.

Ensuite, notre situation s’aggraverait encore. En 2003, les arrondissements se sont vus accorder le pouvoir de négocier eux-mêmes sur 17 points avec le SFMM-429. Parmi ces points, on trouve : le comblement des postes, les mouvements de main-d’œuvre, le travail supplémentaire, les mesures disciplinaires, les congés sans traitement, la formation, etc. Puisque chacun d’entre eux peut négocier tout cela comme il l’entend, nos conditions pourraient désormais varier grandement selon notre lieu de travail.

Pour l’instant, la banque réseau fait obstacle à tout cela. Tant que nous pouvons passer facilement d’un arrondissement à l’autre, ils ne pourront se permettre de grandes disparités. Un même employé ne peut évidemment pas changer de conditions de travail au jour le jour selon ses déplacements. Ce serait impensable.

Voilà pourquoi je crois que la ruine de la banque réseau est voulue. On espère nous amener ainsi à accepter sa disparition. Quand ce sera fait, les arrondissements (devrais-je dire les éclatements?) profiteront de leur nouvelle autonomie pour négocier ce qu’ils veulent et nous nous retrouverons avec des conditions inégales.

Pour assurer l’uniformité de nos conditions de travail, nous devons donc lutter pour la survie da la banque réseau. Elle est un obstacle à la « babélisation » de nos emplois. Il faut refuser qu’elle soit abolie et exiger qu’elle soit imputable. Elle devrait répondre de son travail devant nous tous. Le syndicat devrait se battre pour son maintien et le renforcement de son statut. Ensuite, il faudra la surveiller attentivement. Des banques réseau qui fonctionnent, ça existe dans plusieurs lieux de travail.

Nous devons suivre de près tout ce qui touche l’entente E.V. 96-94 qui dispose des étapes d’assignation des auxiliaires. Il faut, pour cela sensibilisez nos collègues à cet enjeu, en parler à nos délégués et à nos directeurs syndicaux.

Une lettre d'entente?

S’il vous est arrivé de poser des questions à votre déléguéE syndicale, combien de fois vous a-t-on répondu : «Ah ça... c’est régi par la lettre d’entente XYZ!»? Ces fameuses lettres d’entente, nous n’en entendons pratiquement jamais parler, sauf à l’occasion d’un problème particulier. Qu’est-ce qu’une lettre d’entente? Où cela se situe-t-il dans les relations patronales – syndicales? Comment fait-on pour les changer? etc.


Le texte qui suit tente de répondre à ces questions. Pour ce faire, il est nécessaire, dans un premier temps, de situer les lettres d’entente dans la hiérarchie légale, par rapport aux lois et à la convention collective, et, dans un deuxième temps, de comprendre le but de ces lettres d’entente, leur impact et leur place dans notre vie syndicale.


État arbitre ou État gérant?

Nous vivons dans un type de société où la fonction de l’État, il n’y a pas si longtemps encore, était perçue comme un temporisateur social, un genre d’arbitre entre les demandes du monde syndical et populaire (pour une vie meilleure) et les exigences du monde patronal (pour un profit maximal). Même s’il avait un énorme préjugé favorable pour le monde patronal, pour ne pas dire qu’il est son gérant, l’État devait composer avec le monde syndical et populaire afin d’acheter la «paix sociale» si chère au monde patronal. Au Québec, le fait d’avoir des organisations syndicales et populaires fortes, mobilisées et revendicatrices a obligé l’État et le patronat à consentir certains gains à la population. Ainsi, à travers le temps, nous avons obtenu des lois nous assurant d’une certaine protection : le Code du travail, la Loi des normes minimales du travail, l’assurance-santé universelle, la Loi sur la santé et la sécurité au travail, l’aide sociale, l’assurance-chômage, l’équité salariale, etc. Même si, sous certains aspects, cela peut ressembler à un début de redistribution de la richesse, cela n’a toutefois pas empêché le patronat d’engranger des profits de plus en plus faramineux : on n’a qu’à regarder les profits des banques et des pétrolières pour s’en rendre compte.


Convention collective et paix sociale


Donc, il y des lois. Au Québec, des travailleuses et travailleurs regroupés dans ce qu’on appelle un syndicat ont le droit de négocier avec leur employeur de meilleures conditions de travail que ce que prévoient les lois : ce contrat, de durée limitée, s’appelle une convention collective. En théorie, une convention collective doit couvrir tous les aspects de la vie à l’intérieur de l’unité de travail : les conditions de travail et les conditions salariales. Les négociations d’une nouvelle convention collective donnent droit aux parties d’exercer des moyens de pression afin d’amener l’autre partie à lui donner ce qu’il veut : l’employeur, qui ne donne jamais rien sans y être obligé, peut aller jusqu’au lock-out et le syndicat jusqu’à la grève. Ces moyens de pression sont balisés par des lois (les services essentiels, les avis de grève, etc.).


Une fois la convention collective signée, les parties ont les «mains liées» par ce contrat, qui devient en quelque sorte la loi des parties, et ne peuvent plus exercer quelque moyen de pression que ce soit jusqu’à l’échéance du contrat. C’est ce qu’on appelle la «paix sociale».

Les «lettres d’entente»


Évidemment, même avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de tout prévoir, dans une convention collective. Il peut arriver des situations tout à fait nouvelles ou imprévues, en cours de contrat. Le syndicat et l’employeur tentent de régler la situation temporairement en attendant les prochaines négociations de la convention collective. Lorsqu’ils parviennent à s’entendre, ils signent ce qu’on appelle une «entente» ou, dans notre jargon, une «lettre d’entente». D’un point de vue syndical, ces ententes n’ont pas pour but de changer la convention collective, qui est habituellement du ressort de l’assemblée générale des membres du syndicat : elles sont là pour régler temporairement un cas imprévu.


Ce qu’il faut savoir, sur ces fameuses «lettres d’entente», c’est que :

· d’une manière générale, puisqu’il y a une convention collective en vigueur, les syndiquéEs ne peuvent exercer aucun moyen de pression : ce serait illégal. Par conséquent, le seul pouvoir qu’a le syndicat lors d’une négociation d’une «lettre d’entente», c’est celui de signer ou de ne pas signer : il y a entente ou il n’y a pas entente;

· plus précisément, à l’intérieur de notre syndicat, l’expérience des années antérieures nous indique que les membres n’ont pas un mot à dire sur les «lettres d’entente», à moins, bien sûr, qu’ils n’exercent de fortes pressions sur les hautes instances syndicales. Contrairement à de nombreux autres syndicats, chez nous, une «lettre d’entente» se négocie et se signe en vase clos. Les membres ne sont au courant de l’existence d’une lettre d’entente qu’une fois qu’elle est signée et en vigueur. Et encore...


En 2004, dans un texte, sur ce sujet, distribué aux déléguéEs syndicaux des bibliothèques de la Ville de Montréal, j’écrivais ceci :


«Le principe même de l’existence d’une lettre d’entente (apparition soudaine d’un cas imprévu) semblerait dénoter l’absurdité de leur survie lors de la signature d’une nouvelle convention. En effet, ces cas «imprévus» sont maintenant «prévisibles et connus». Pourquoi alors ne pas les avoir intégrées dans la convention collective ou ses annexes? Cette question est d’autant plus pertinente lorsque l’on soulève la question du rapport de force : le syndicat a les pieds et les mains liés lors de «négociations» de lettres d’entente. En effet, ayant signé la convention collective, le syndicat ne peut légalement exercer aucun moyen de pression à l’égard de l’employeur.»


Des centaines de «lettres d’entente»


Selon les dires de nos hautes instances syndicales, il existerait quelques centaines de «lettres d’entente» ayant pour but de clarifier des situations non prévues par la convention collective : les chiffres évoqués situeraient le nombre de lettres d’entente entre 800 et 2 000. Le plus invraisemblable, c’est que ces ententes ne sont pas classées de sorte que, sans la mémoire de quelques rares individus, il serait impossible de savoir si telle situation fait déjà l’objet d’une entente. Nos conditions de travail sont, dans de nombreux cas, régies par des ententes que nous ne connaissons pas. Par exemple, en ce qui concerne les bibliothèques, un membre influent de nos hautes instances syndicales a déjà déclaré qu’il pensait qu’une entente entre la Ville et le syndicat avait déjà été conclue sur les horaires de travail : selon cette personne, l’entente prévoirait que les bibliothèques sont fermées le dimanche. Si cela s’avérait exact, les retombées pourraient être très importantes. Confrontés à des questions pointues – peut-on avoir le texte? a-t-elle été abrogée ou est-elle toujours en vigueur mais oubliée? y a-t-il d’autres ententes de ce type? – ce membre influent n’a pu donner de réponses précises.


Il n’y a rien de plus permanent que le temporaire


En conclusion, une «lettre d’entente» est un contrat temporaire visant à solutionner un problème surgissant de façon imprévue, en attendant les prochaines négociations de convention collective. Ça, c’est la théorie. Dans la pratique, on pourrait se poser la question suivante : à quoi sert-il que les membres, réunis en Assemblée générale, adopte une convention collective, si cette dernière peut être changée en profondeur, en cours de route, par la signature de lettres d’entente dont les membres ne sont au courant qu’une fois qu’elles sont en vigueur?